On voit quelquefois, sur les chemins que suit le laboureur, une fleur, apportée par les vents du ciel, germer, croître et s'épanouir ; le vent qui la mit là semble la caresser ; longtemps le pied du passant se détourne et respecte l'étrangère ; mais un jour l'insensible passe par le sentier et brise du pied la faible tige. Ainsi une âme délicate, jetée, par les hasards de la naissance ou de la vie, dans les sentiers détournés du monde : longtemps elle vit de son isolement et de sa paix. Ceux-là même qui ne la comprennent pas la respectent par l'instinct d'une supériorité dont ils ne se rendent pas compte, ou du moins comme on respecte un malheur ou une faiblesse ; puis enfin, à certain jour, quelque grossière nature, lasse de se détourner de son chemin, heurte violemment la pauvre isolée, et la laisse meurtrie pour la vie.