Antoine de Rivarol.
Les pensées et citations de Antoine de Rivarol :
Ce qui fait la puissance du talent, c'est qu'il exprime d'une manière neuve et piquante, les pensées les plus communes : or, les pensées les plus communes se composent des sensations premières, souvent répétées, et par conséquent fondamentales dans l'homme.
De même qu'une fleur ou un fruit sont embellis ou grossis par la culture, moins ils portent de graines ou de pépins : ainsi plus un homme cultive sa tête, moins il est propre à la génération ou au travail des mains. Ce qui prouve toujours que la nature n'est pas qu'une fleur soit une belle fleur, ou un fruit un gros fruit, ou l'homme un grand penseur.
Il naît plus d'hommes que de femmes en Europe, et, sans la guerre, les femmes y seraient condamnées à l'infidélité. Dans un pays où il y aurait plus de femmes que d'hommes, beaucoup seraient condamnées à la fidélité.
Les enfants poussent des cris, aiment le bruit, le feu, etc., ils font tout ce qu'ils peuvent pour s'avertir de leur existence. Les gens bornés aiment le mouvement. Il n'y a que les hommes exercés à la méditation qui aiment le silence et le repos : leur vie est une suite d'idées.
Si, étant fort occupé d'une idée, on se retourne dans son lit, on la perd, et souvent pour longtemps.
Un homme, habitué à beaucoup écrire, écrit souvent sans idées, comme ce vieux médecin qui tâtait le pouls à son fauteuil en mourant.
Le mouvement entre deux repos est l'image du présent entre le passé et l'avenir : le tisserand qui fait sa toile fait toujours ce qui n'est pas.
Ce qui rend les consolations si inutiles et souvent si insupportables, c'est qu'on ne peut offrir le temps.
L'homme fut placé sur le seuil de la vie comme devant un carrefour ; les animaux comme devant une seule route. Raison pourquoi nous sommes capables de doute, et coupables de fourberie : les animaux exempts de l'un et de l'autre et toujours incorruptibles.
La peur est la plus terrible des passions, parce qu'elle fait ses premiers efforts contre la raison, elle paralyse le cœur et l'esprit.
Vingt mille femmes mal faites font passer une mode qui n'est favorable qu'à leur défaut ; le petit nombre de belles femmes s'y assujettit : la majorité l'emporte.
La fatalité ou prédestination est dans les choses et non dans nous. Il est fatal que tout corps qui passera sur telle pente, glisse et tombe, mais il ne l'est pas que tel homme y passera.
Le tour le plus ingénieux qu'on ait joué à l'égoïsme, c'est l'établissement du dogme d'une autre vie, car on a forcé l'homme à sacrifier celle-ci pour l'autre.
Si le riche n'était libéral que comme la terre, qu'il n'accordât rien qu'au travail, il passerait pour dur.
L'admirable nature a voulu que ce que les hommes ont de commun fût essentiel, et ce qu'ils ont de différent peu de chose : il est vrai que ce qu'ils ont de différent change beaucoup ce qu'ils ont de semblable.
Il faut toujours avoir affaire, ou à la malice des hommes si les temps sont calmes, ou à leur barbarie, s'il y a révolution.
Un homme à talent dira plutôt une sottise qu'un homme d'esprit : les gens du monde s'y trompent souvent, et confondent l'esprit et le talent.
Si l'homme avait des yeux tout autour de la tête, devant et derrière n'existeraient pas pour lui.
Les hommes les plus sages sont toujours ceux qui ont le moins d'ascendant sur les autres hommes, parce qu'ils ont le moins de rapports avec eux, c'est comme les plus ingénieux.
La nature n'ayant plus rien de nouveau à offrir à l'homme qui pense et qui vieillit, et la société encore moins, il ne doit demander que l'air et l'eau, le silence et l'absence, quatre éléments de la vie, quatre choses sans goût et sans reproche.
On corrompt la fille innocente avec des propos libres, et l'amour délicat séduit la femme galante : fruit nouveau pour l'une et l'autre.
Ce qu'il y a d'horrible en général dans ce monde, c'est que nous cherchions avec une égale ardeur à nous rendre heureux, et à empêcher les autres de l'être. Beaucoup d'hommes lancent sur nous autant de traits que de regards.
Vivre dans l'aisance, avoir de la patience, de la prudence et de la santé, voilà le bonheur de l'homme : si avec tout cela, il n'est point heureux, c'est qu'il n'est pas digne de l'être.